Passion privée, dit-on du collectionneur. Très tôt Geneviève Bonnefoi, Pierre Brache ont ressenti à l’intensité de leur passion que les artistes qui avaient ébloui leur jeunesse parisienne dans l’immédiat après-guerre marquaient un tournant historique, non seulement pour l’art mais aussi pour l’esprit. Le cadre de l’abbaye – autre passion – s’est imposé à eux pour être l’écrin idéal de leur collection, désormais offerte à tous.
Exposée pour la première fois en 1970 sous le titre « Un art subjectif ou la face cachée du monde » elle est l’occasion pour Geneviève Bonnefoi d’en définir la nature : diverse par l’originalité des approches, une dans la quête de l’artiste pour établir un nouveau rapport au monde et à soi-même, nécessairement dans un langage qui ne doit rien aux « écoles ».
Désormais seule à la direction du Centre d’art, sans cesser d’entretenir ses relations parisiennes et de défendre ses artistes, elle est attentive à ce qui se passe en région, par attrait personnel et pour répondre à la mission qui lui a été confiée par Bernard Anthonioz comme déléguée à la création artistique pour les départements de l’Aveyron, du Lot, du Tarn et du Tarn-et-Garonne. Elle suit notamment avec intérêt l’action de Félix Castan sur le Larzac près de Millau et celle de Paul Duchein à Montauban. Chacun a sa visée : l’intention de l’acteur culturel n’est pas le coup d’œil de l’amateur d’art, ce qui suppose parfois entre eux de vigoureuses mises au point qui profitent pourtant à chacun.
Dans les dix premières années huit artistes (Baillon, Laboucarié, Bertrand, Mir, Redoulès, Robelin, Bertrand, Ferlin) présents à la Mostra ou découverts au moment d’une Quinzaine d’art montalbanaise sont retenus pour la première édition d’« Empreintes d’un territoire » en 1979 et font leur entrée dans la collection de Beaulieu par donation officielle en 1981. La plupart des artistes tissent des liens durables avec Beaulieu qui, par son activité même, attire d’autres créateurs dans sa proximité (Fleury et les nouveaux venus dans la région, Laik, Krebs, Haramburu, Hue…).
Ainsi au fil des ans, sans qu’elle ait été préméditée, une collection se créait dans le prolongement de la première rassemblée à Paris, comme pour témoigner de la vitalité de la création loin des capitales dans la génération d’après 1968. Deux autres expositions suivront, en 1994 et en 2006 bâties sur le même principe territorial ; des artistes déjà remarqués s’y retrouvent avec des œuvres récentes qui confirment les promesses de leurs commencements ; d’autres y apparaissent – une découverte est toujours possible – à la suite d’une nouvelle rencontre ou lors d’une visite d’atelier. La dernière en date, celle de l’œuvre étonnante de Jacques Rouby à Souillac.
Tout l’intérêt de cet ensemble d’œuvres réside dans l’expression « Empreintes d’un territoire » qui les réunit. On ne s’arrêtera pas au seul fait que tous ces artistes ont vécu en Midi-Pyrénées, ce serait méconnaître la vision de l’art qui s’y exprime et sa portée. Le « territoire » est une clé de lecture qui permet d’apprécier leur diversité même. On observe que leur travail s’est développé dans une relation étroite à l’espace (terre, paysage, environnement, matières…), en des lieux choisis par un même mouvement de défiance des grands centres urbains et des influences extérieures : une façon de trouver une « manière » bien à soi pour se manifester, laisser une trace sincère, l’empreinte d’une « présence ».
Cette part de la collection n’est pas mineure. Elle a été constituée dans le même esprit que les œuvres acquises à Paris devenues aujourd’hui historiques et pièces de musée. Avec ces œuvres « territoriales », exigeantes mais à hauteur d’homme, Geneviève Bonnefoi comme elle le revendiquait avec éclat dans les Lettres Nouvelles en 1959, a agi résolument en amateur d’art qui sait la joie d’avoir au mur une « œuvre aimée » avec laquelle dialoguer.
Geneviève André-Acquier